"Silence" est l'adaptation par Masahiro Shinoda du roman de Shûsaku Endo, l'auteur ayant lui-même participé à l'écriture du script. Eludant par rapport au livre la partie initiale de voyage, il débute sur l'arrivée au Japon des missionnaires Rodrigo et Garrpe, au XVIIème siècle, une période de répression terrible pour les chrétiens dans ce pays et d'interdiction de leur religion. Les deux jésuites sont là autant pour leur vocation missionnaire que pour retrouver la trace du Père Ferreira, qui fut leur mentor au Portugal, les avait précédés de vingt ans au Japon, et n'avait plus donnée de nouvelles depuis son arrestation 5 ans auparavant. Recueillis et cachés par des pêcheurs chrétiens, il commencent par redonner un peu d'espérance aux locaux, mais bien vite les arrestations débutent, et Ferreira refera surface...
Silence prend Rodrigo comme personnage principal et s'attachera à son parcours, en le parallélisant constamment avec celui du Christ. L'acteur a visiblement été choisi pour correspondre à une certaine image d'icône occidentale, avec un regard profond et une interprétation exaltée, à la limite de l'exagération par moments. Le film est autant un récit bien documenté des persécutions subies par les chrétiens qu'une réelle méditation spirituelle sur la foi, le supplice physique de la souffrance et surtout l'épreuve morale du silence de Dieu (d'où le titre) dans ces situations. Le film s’attache également beaucoup à l’origine de la persécution, dépeinte comme une mesure de protection nationaliste. Les autorités japonaises avaient peur que la culture de leur pays disparaisse ou soit irrémédiablement endommagée au contact d’un christianisme qui avait commencé par se répandre très rapidement après l’arrivée de Saint François-Xavier. La question « Es-tu Japonais ? » posée au passeur (au tout début) qui s’affirme chrétien alors que les missionnaires doutaient de sa sincérité est très parlante : l’identité japonaise est d’emblée supposée incompatible avec la foi chrétienne. En revanche, les raisons pour lesquelles cette foi est parvenue à se maintenir et se transmettre chez les pauvres malgré les persécutions resteront inexplorées par le film. Autre question qui pourra paraître un peu sous-abordée alors qu’elle occupe une grande place dans la partie « persécutions » du film : le « fumi-e ». Ce témoignage d’apostasie sous la forme du piétinement d’une icône est qualifié de non valide par Rodrigo au début du film, mais il ne rentre hélas pas assez dans le détail. Peut-être que cela pouvait paraître évident dans un monde majoritairement chrétien au début des années 70, mais une petite explication didactique ne serait pas inutile aujourd’hui.
ATTENTION GROS SPOILERS – ATTENTION GROS SPOILERS – ATTENTION GROS SPOILERS De même, la fin paraîtra peut-être un peu rapide et l’argument décisif peut-être un peu faible (i.e. le Christ lui-même aurait apostasié pour sauver la vie de ses disciple), et relève peut-être d’une mauvaise compréhension de la théologie chrétienne (selon laquelle, Jésus se sachant Dieu, en tant que Fils de Dieu, il ne pourrait donc se renier lui-même, ce serait absurde) ou alors d’une vision très asiatique des choses, où l’individu a décidément une importance inférieure à celle de la majorité, et les besoins d’un groupe l’emportent sur les désirs d’un seul. A noter : l’acteur qui joue Ferreira, le prêtre ayant renié sa foi et embrassé un mode de vie local est justement joué par un japonais ; voilà un choix de casting très malin, même si sa pilosité cache mal le fait que ses origines n’ont certainement rien de portugais. Autre détail, enfin : je trouve particulièrement révélatrice la séquence finale où Ferreira et Rodrigo doivent expertiser la coupe. Ils sont habillés exactement de la même façon et cela rappelle qu’en assistant à la persécution de Rodrigo, nous avons une compréhension complète de ce que Ferreira a connu. Et, justement, à la fin, Rodrigo est remis en cellule, ce qui montre très bien que le mode de vie japonais auquel s’est soumis Ferreira est bien un enferment pour lui et une privation de liberté. L’apostasie et le mensonge public (car il semble bien avoir toujours la foi, d’après sa « disputatio » avec Rodrigo) l’ont certes laissé en vie, mais ne l’ont pas rendu libre pour autant. Or, l’Evangile de Saint Jean affirme « la vérité vous rendra libres »... FIN DES GROS SPOILERS – FIN DES GROS SPOILERS – FIN DES GROS SPOILERS
Le rythme n'est certes pas effréné, mais le film ne contient pas de longueurs pour autant. Toutes les discussions sont passionnantes, certaines étant de véritables joutes orales, notamment l'affrontement entre Inoue et Rodrigo. La représentation des persécutions est particulièrement intéressante : elles ne sont jamais minimisées, mais la caméra évite aussi toute exploitation graphique gratuite. Visuellement, c'est très bien filmé, la lumière est notamment très intéressante, même si l'on sera surpris par la sous-exposition de certains plans qui ont pourtant l'air de se passer en plein jour. Connaissant le sérieux d'Eureka et de sa collection Masters of Cinema, et quand on voit la qualité sans faute de l'image DVD pour un film de1971, on ne peut que se dire que l'éditeur n'est pas en cause, et que c'est bien ainsi que Shinoda a tourné son film, où la lumière lutte pour sa place dans un pays de l‘ombre. Dont acte.
En revanche, on sera surpris par le choix de l'éditeur sur l'unique piste de sous-titres. La VO est un mélange de 90% de japonais et de 10% d'anglais, et les sous-titres s'appliquent à traduire chaque langue dans l'autre, alternativement. Les voix japonaises sont sous-titrées en anglais et réciproquement ! Vous devrez donc avoir une solide compréhension orale de la langue d'Endo ou de Shakespera si vous voulez profiter pleinement de ce film, car le DVD ne contient rien d'autre pour vous aider. Dommage, car cela sera certainement un frein à la diffusion de ce disque. Pour cette raison, je retire malheureusement une étoile à ma note globale.
A noter, Martin Scorsese souhaitait également adapter le roman d’Endo depuis de nombreuses années, et ce ne serait pas la première fois qu’il irait puiser ses sujets en Asie, puisque ses Infiltrés étaient déjà un remake du magnifique Infernal affairs. Cela dit, la sensibilité catholique du réalisateur de La dernière tentation du Christ le rend particulièrement indiquée pour cela et l’on se réjouit que son film verra enfin le jour courant 2016, avec, en prime, un beau casting. Espérons que Scorsese saura nous offrir une vision renouvelée un peu différente. Espérons surtout que la renommée du cinéaste donnera une meilleure exposition au très beau film spirituel de Shinoda.
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