Mélodie en sous-sol, c'est le polar français par excellence. Un scénario en béton et un duo mythique Gabin en vieux briscard et Delon en jeune loup sublimé par les dialogues d'Audiard. Après le triomphe remporté par Un singe en hiver (1962) qui opposait Jean Gabin à Jean-Paul Belmondo sous la direction experte d’Henri Verneuil, le producteur Jacques Bar pousse la fine équipe à se reconstituer, cette fois sans Bébel, mais toujours avec Gabin. Dans le même temps, Alain Delon harcèle la production pour pouvoir obtenir le rôle du jeune malfrat sur lequel repose une grande part de l’intrigue. Le jeune homme rêve effectivement de donner la réplique à Gabin et accepte de jouer gratuitement pour ce film. Face au patriarche Gabin, Delon joue sa partition de jeune loup aux dents longues, Jean-Louis Trintignant était pressenti pour le rôle mais Alain Delon voulait absolument tourner aux côtés de Gabin qu'il adulait. Jacques Bar le producteur, informe donc la MGM que Delon veut absolument le rôle. Les studios répondent que si Delon désire à tel point ce rôle, qu'il l'accepte pour pas un sou. À la surprise générale : Delon accepte de tourner gratuitement le film et renonce à un cachet de 250 milles francs. Mais en contre-partie demande de recevoir un pourcentage sur les droits dans des pays considérés comme peu importants pour le film comme le Japon ou encore le Brésil ou la Russie. A peine sorti de prison, Charles (Gabin), un truand à la retraite, refuse de s’acheter une bonne conduite. Ce dernier décide de monter un gros casse : le cambriolage du casino Palm Beach à Cannes. Pour mener à bien ce projet, Charles aura à ses côtés Francis (Delon), un jeune voyou sans scrupules et Louis, beau-frère de celui-ci. Chacun aura un rôle bien défini : Charles surveillera les salles du casino, Francis utilisera ses charmes pour visiter les coulisses du lieu et Louis sera le chauffeur des deux compères. Servie par une mise en scène maîtrisée, Mélodie en sous-sol propose aussi une vision quasi-documentaire d'une France des années soixante, alors en reconstruction. Le film est lui en phase avec son temps. Immersion dans le monde de l'argent, du luxe et de la fête (Le casino Palm Beach de Cannes) pour un hold-up audacieux. Michel Audiard se délecte de cette perplexité dans laquelle la France populaire patauge : inquiétude et nostalgie se mêlent dans ses dialogues. Mais il n'oublie pas non plus que le film a plus de mordant qu'autre chose à faire valoir et ses dialogues sont plutôt agressifs, rentre-dedans. On est davantage dans la petite philosophie pragmatique des marlous de l'époque : le pognon est roi, c'est et sera toujours le nerf de leur guerre. Et Delon et Gabin sont en guerre ; d'où ce braquage qui ne peut louper, une occasion inévitable. Gabin en repérage pour un nouveau coup, ne reconnait plus Sarcelles, sa cité devenue ville-dortoir. Delon s'habille en "blouson noir" et écoute de la musique de jazz. Autant Gabin incarne ce chef de clan stoïque, voire statique, autant Delon prend toute la lumière. Voyou assumé, séducteur étincelant, acrobate remuant. Henri Verneuil, cinéaste précis et rigoureux. Il livre un modèle parfait du genre, faisant du casse en lui-même un morceau de bravoure qui se fait l’égal des plus grandes séquences du genre, au niveau de celles du Rififi chez les hommes ou du Cercle rouge. L’ensemble est léger, brillant, et s’impose comme un divertissement d’une efficacité redoutable grâce à une écriture parfaite et un montage rythmé qui ne laisse jamais place à l’ennui. Verneuil propose un Cinémascope spectaculaire, utilisant à merveille chaque élément du décor, et offre un film esthétiquement impressionnant qui égale en majesté visuelle les plus grandes productions américaines. Les images les plus marquantes sont évidemment les dernières, qui voient le butin perdu remonter, billets par billets, à la surface d’une piscine. A une époque où il était encore de coutume, dans le cinéma français, que bien mal acquis ne profite jamais, il était naturel d'assister à un tel finale. Si le récit de son origine diffère selon les sources, entre point de départ de la conception du film selon Verneuil et fin alternative selon d’autres, le résultat est quoi qu'il en soit saisissant, et constitue probablement l’un des plans les plus marquants de l’histoire du cinéma français. Une vision donnant au film des accents hustoniens, et faisant notamment écho eu sublime Trésor de la Sierra Madre. Le tout conjugué donne un résultat exceptionnel pour un film de braquage à la française. La préparation du cambriolage : préparation chirurgicale, mécanique simple, bien rôdée et huilée. "Mélodie en sous-sol" reste encore aujourd’hui une référence dans le genre, et le restera à jamais, d’autant plus que le suspense est formidablement entretenu par Verneuil pour un final qui n’a pas fini de surprendre pour ceux et celles qui ne connaissent pas encore ce long métrage incontournable. Le plus fort, c’est que le spectateur se prend de sympathie pour les braqueurs. On retrouve cette multitude de seconds rôles sans qui ce film ne serait pas ce qu’il est, comme Maurice Biraud, Jean Carmet, Viviane Romance, ou encore Henri Virlojeux pour ne citer qu’eux. Ah, ce final.. d’un quart d’heure autour de la piscine, Encore une de ces séquences mythiques. Et qui, peut-être à elle seule place le film dans la catégorie du film noir, claironnant haut et fort que les héros sont maudits, que "bien mal acquis ne profite jamais". On soupçonne cependant que ce dernier est plus destiné à câliner la morale bourgeoise qu'à dénoncer quoique ce soit comme c'est le cas généralement dans les films de gangsters. il n'y a qu'à voir le visage de Gabin qui se contracte, sa mâchoire se gonfle à force de se serrer, les yeux cachés derrière ses lunettes de soleil doivent incendier le mauvais sort. L’excellence du spectacle lui a permis de connaître un foudroyant succès public, aussi bien en France qu’à l’étranger. Diffusé dans le monde entier, Mélodie en sous-sol a même connu un imposant succès aux Etats-Unis où le métrage a glané plus d’un million de dollars de recettes sous le titre Anyone Can Win. Ce beau succès a également permis à Alain Delon d’entamer une carrière anglophone (La Rolls-Royce jaune, Les tueurs de San Francisco, Les centurions, Texas nous voilà) et d’offrir à Henri Verneuil un passeport pour Hollywood (La bataille de San Sebastian en 1968). En France, le film a assis un peu plus le statut de Jean Gabin et fait de Delon une star désormais confirmée grâce à ses 3,5 millions d’entrées et sans oublier la musique magnifique de Michel Magne. Toute une époque...