"The House of the Strangers", (scénario de J. L. Mankiewicz, et non de Philip Yordan comme crédité), Joseph L. Mankiewicz, 1949, NB, VOST seulement, excellente copie.
Des Atrides aux Kardashian (pardon pour la dégringolade !), les familles sont des cloaques.
Si, comme le disait Guitry, on peut s'aimer "malgré"qu'on soit de la même famille, il y a plus de chance qu'on se déteste, qu'on se méprise, qu'on se combatte "parce" qu'on est de la même famille ! Pilier de la société, indispensable "matrice de la socialisation", ce qui est indiscutable -on le sait d'autant mieux aujourd'hui qu'elle ne remplit plus cette fonction- la famille n'est assez souvent qu'un panier de crabes, ou un fourre-tout: le génie y côtoie la médiocrité, la lâcheté le courage, la vilenie le désintéressement... Comme dans cette famiglia Monetti, sujet du film, sur laquelle règne Gino, le père, Père-Dieu-tout-puissant, qui a tout créé, à qui tout est dû, puisque c'est lui, simple barbier venu de Palerme, qui, à force de travail, d'économie et de malignité, s'est hissé au rang de banquier- et disons-le, d'usurier- de Little Italy... Et Gino a quatre fils. Tous sont sa chair, son sang, mais ne seraient rien sans sa force, sa volonté, sans son argent. Tous sans lui ne sont rien... à part Max, aussi intelligent, audacieux, sûr de lui, que les autres sont ou falot, ou stupide, ou sournois. On ne réussit pas dans le prêt d'argent si on n'a pas de flair. Et Gino ne manque pas de psychologie, il a parfaitement cerné les personnalités de ses fils, mais il a le tort d'en faire état, ou étalage, devant eux et devant autrui, d'humilier les faibles en pensant les stimuler et d'exalter le fort, de le donner en exemple. Il attise la jalousie, la haine. Quatre étrangers ces frères Monetti, trois Caïn pour un Abel ! Mais si Max en tient le rôle, c'est un Abel sec, froid, dur. En fait, il expose ce que Gino dissimule mal sous une bonhommie expansive.
Quand le film commence, Max arrive à la banque Monetti, une banque qui a fait peau neuve. Rien qu'à voir ce bureau où le reçoivent ses frères, et où trône un buste de Mussolini, on sait de quel côté est la justice et le bon droit... Un long flash back va nous dire ce qui s'est passé.
1932. Le crack de Wall Street et la crise qui a suivi ont obligé le gouvernement américain a enquêté sur les banques, rien que pour calmer l'opinion publique ; et ce sont les petites qui trinquent. Gino Monetti octroyait des prêts sans "nantissements", et à des taux usuraires... Max, qui est avocat et qui le défend, va se compromettre pour le sauver. Il est dénoncé : 7 ans de prison. Quand il revient, Gino est mort, spolié par ses propres fils, mais non sans avoir entretenu chez Max la haine de ceux qui l'ont trahi, et une insatiable soif de vengeance. Poncif de la vendetta italienne que le scénario de Mankiewicz évitera habilement, par un long flash back qui sera pour Max un retour sur lui-même et sur l'histoire de sa famille. Et Max va laisser ses frères se venger sur lui, physiquement, de la supériorité qui les écrasait. Emprisonné pour avoir voulu sauver son père, il accepte cependant de payer pour lui -une seconde fois. La domination que Gino Monetti a exercé sur ses fils, la haine qu'il a entretenue au-delà de la mort, c'est Max encore qui va accepter d'en solder la dette...
Froide et rigoureuse condamnation de la famille patriarcale, le scénario excellent n'est pas sans quelques invraisemblances -pourquoi tenter de corrompre une jurée que Max sait déjà favorable à l'accusé ? Une fois Max arrêté, comment se fait-il que Gino soit si aisément acquitté ?-, mais c'est surtout la réalisation -qui ne s'affiche pas, ne nous tire pas par la manche, ne nous dit pas : regardez comme je suis originale ! - qui est cependant remarquable. Dans le bonus, Olivier Père, comme la majorité des spécialistes du cinéma appelés à nous parler d'un film, n'a pas grand chose à dire et le dit mal: il se focalise sur le flash back comme si le procédé était une invention de Mankiewicz, même si celui-ci est, en effet, très bien introduit: la caméra remontant lentement l'escalier, comme on remonte le temps, et le grand air de "Martha", que Max a mis en route sur le gramophone de son père, soudain chanté, horriblement mal d'ailleurs, par Gino, se savonnant vigoureusement dans son bain... sept ans plus tôt.
S'il y a les ellipses qui évitent les clichés : Irene qui, rentrant chez elle, "reconnaît" Max au bruit de la douche dans la salle de bain, et se serre "moralement" dans ses bras; la même Irene enlevant son manteau, alors que la caméra, devançant le départ du couple, les avait déjà précédés dans le hall ... il y a aussi quand cela s'impose, la force de l'image : l'arrivée de Max dans Little Italy, avec ce long travelling latéral par dessus une rue encombrée de carrioles de fruits et légumes, de voitures et de chalands; la magnifique plongée sur Gino Moretti fendant la foule hostile, la bousculant à coups d'épaules pour aller s'expliquer avec l'un ou l'autre; le passage à tabac de Max, tout à la fin, quand la caméra qui tourne va comme se réfugier derrière la rampe de l'escalier... toujours cet escalier de la maison familiale que Max redescendra définitivement quelques minutes plus-tard.
Et ce ne sont là que quelques exemples.
Pour la distribution, bien sûr, il y a Susan Hayward, avec son petit nez, ses yeux en vrille, et sa drôle de démarche, les trois frères, acteurs peu connus mais très justes, la mamma (Esther Minciotti), silencieuse ou dramatique (un peu trop!), et puis Richard Conte et... Edward G. Robinson, ce petit homme grassouillet, qui n'est ni petit, ni gras, qui est dense, qui est compact, qui est un concentré d'énergie. Entre le Max cassant, mais étroit, peu varié, de Richard Conte, débitant son texte à la mitraillette -de peur d'avoir à le jouer ?- comme dans les films de gangsters où il a excellé, et le Gino de Robinson, il y a toute la différence entre un acteur correct, consciencieux, qui fait de son mieux et peut convaincre, et un comédien de génie, qui se promène dans son rôle comme en terrain conquis, en a fouillé les recoins, accaparé les points forts, éclairé les ombres, et se sert de tout ce qu'il est, lui, de tout ce que peut être le personnage, pour l'incarner au sens complet du mot.
Un comédien d'exception, un scénario dense, une réalisation intelligente et belle... un film qui semble s'enrichir, s'approfondir à chaque visionnage.
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